Il n’y a pas : la vie pro, la vie perso. Il y a la vie, point
Sandra Fillaudeau
Lorsque j’ai lu, en début d’année dernière, cette phrase de Sandra Fillaudeau (fondatrice de Conscious Cultures et créatrice du podcast Les Équilibristes), elle a immédiatement résonné pour moi. A tel point que je l’ai notée dans le coin d’un petit carnet. Pour plus tard.
Mettre sa vie dans des cases ?
Depuis que j’ai commencé à exercer en tant que coach, une question arrive très souvent lorsque je me présente : « Oui, mais alors toi, tu fais du coaching de quoi ? Coaching de vie pro ou perso ? ». J’ai toujours été embarrassée pour répondre. Au départ, sans vraiment comprendre pourquoi. Peu à peu, j’ai réalisé qu’en fait, cette question ne prenait pas sens pour moi. Comment faire un coaching exclusif sur l’un ou l’autre de ces domaines ? Bien sûr, la coachée choisit le sujet sur lequel elle veut travailler. Et elle peut décider de centrer son coaching sur la prise d’un poste, une reconversion professionnelle, le management d’une équipe, etc. Mais comment présupposer, a priori, qu’elle n’abordera jamais d’éléments de sa vie personnelle au cours des séances ? Faudrait-il lui interdire d’en parler ? L’arrêter pour lui dire « Ah non ! Parler de votre famille ne fait pas partie de notre contrat de départ. Vous êtes ici pour parler carrière. C’est l’un ou l’autre, il faut choisir ».
Raisonner ainsi signifierait qu’il est possible de mettre sa vie dans des cases, bien compartimentées. De voir son identité alterner au fur et à mesure de la journée. Comme un défilé d’images sur le carrousel d’une page Web : à tour de rôle professionnelle, conjointe, amie, mère, sœur, tante… Mais jamais tout à la fois. Jamais tout en même temps. Cela serait à dire que, concentrée sur l’une ou l’autre de nos facettes identitaires à tel moment de la journée, nous serions en mesure d’oublier les autres, qui resteraient sagement cachées, endormies. Comme si elles n’existaient pas, ne comptaient pas. N’entraient en ligne de compte qu’à certaines heures prédéfinies. Nous serions donc programmées pour être ou ne pas être telle ou telle partie de nous, en fonction des circonstances ?
Vie pro / vie perso : l’illusoire équilibre proposé par les politiques publiques
Cette façon de penser théorique se retrouve dans la manière dont sont conçues les politiques publiques. Et plus précisément le fameux équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Prenons l’exemple du congé parental. Pour permettre aux parents de concilier les différents aspects de leur vie, leur est donnée la possibilité d’arrêter pour un temps de travailler, de façon à pouvoir se consacrer à leur vie familiale suite à l’arrivée d’un enfant. Pour les femmes, cette interruption d’activité professionnelle peut durer jusqu’à 3 ans.
En tant que sociologue, j’ai eu l’occasion de rencontrer et d’interroger de nombreuses femmes en congé parental. Vécue de l’intérieur, cette réalité ne prend pas toujours (loin de là) la forme d’un équilibre.
J’ai pleuré le jour où j’ai dû me résoudre à prendre un congé parental (…) C’est long et super dur. On regarde le temps passer parfois. On ne voit pas d’adultes de la journée ; je préfère largement être au travail, franchement. Pour s’occuper des enfants, à la limite, on n’a même pas besoin de s’habiller. On traîne
Clara, 33 ans
On tombe dans une spirale où on n’est que maman, et plus femme. Et ça pèse sur le moral et le quotidien. Être là, tout le temps avec ses enfants, à un moment donné, c’est trop. On n’a pas de temps pour soi
Mathilde, 23 ans
Aujourd’hui, c’est sûr, je ne suis pas épanouie à 100 %. Il y a toutes ces contraintes ménagères que je me mets et qui maintenant passent au premier plan. Bon, ça ne peut pas durer tout le temps ! [1]
Bénédicte, 29 ans
Ces quelques extraits d’interviews de femmes montrent à quel point la conciliation mise en avant par le congé parental est un leurre. Ce dispositif ne permet pas de tout concilier en même temps. Il offre en réalité la possibilité de mettre sur pause sa vie professionnelle pour s’occuper de ses enfants. Il n’y a pas réellement de conciliation. C’est plutôt une alternance dans le temps. Comme si une femme bénéficiaire du congé parental était 100% maman pendant 3 ans de sa vie, puis 100% professionnelle dès le lendemain de la fin de son congé. D’ailleurs, on en parle de ce mot « congé » ? Sans doute pour un prochain article 😉.
Alors… coaching de vie pro ou perso ? Désormais, je sais quoi répondre à la question : « Oui, mais alors toi, tu fais du coaching de quoi ? ». Je fais du coaching tout court. J’accompagne des femmes dans l’entièreté de ce qu’elles sont. De ce qu’elles amènent pendant les séances. Aujourd’hui, dans mes accompagnements comme dans mes interventions de sociologue, je réutilise et partage largement cette phrase de Sandra Fillaudeau : « Il n’y a pas : la vie pro, la vie perso. Il y a la vie, point ».
Promis, si je vous accompagne, je ne vous demanderai jamais de mettre en pause une partie de ce que vous êtes !
[1] Kertudo Pauline, « Le rapport à l’emploi des femmes en congé parental. Un repositionnement vis-à-vis des normes sociales », Recherche sociale, 2013/4 (N° 208), p. 58-78. DOI : 10.3917/recsoc.208.0058.
https://www.cairn.info/revue-recherche-sociale-2013-4-page-58.htm.