Léontine, 50 ans d’aventures. Pour s’alléger.

Portraits écrits

Histoire de vie

La vie est importante, je n’ai pas envie de la gâcher. Je crois qu’il faut aller à l’essentiel, vivre léger. Etre avec les autres, partager, rigoler. Se décharger des vieilles casseroles qui ne servent à rien. Se désencombrer

Léontine

Premier chapitre : le rodage

Léontine n’est pas prévue au programme mais débarque pour le plus grand bonheur de son père, 5 ans après ses frères et sœurs. Pas d’hésitation sur le prénom. Ce sera Léontine. Hommage au seul pape alsacien : Léon de Eguisheim. Pontife hors norme. Voyageur, réformateur. Nul doute que Léontine est prédestinée à une vie d’aventures, en dehors des sentiers battus.

Rebelle. Pas comme tout le monde. Elle sort très tôt du moule. Pas question pour Léontine de traîner avec les filles, « ennuyantes et compliquées ». Elle aime mieux construire des cabanes dans la forêt avec un copain de quartier. Enfourcher son vélo pour rendre visite à sa grand-mère, dans le village voisin. Prendre le large. Etre dehors, dans la nature, pour continuer à respirer. Echapper aux murs symboliques édifiés, pierre par pierre, par ses parents : un père autoritaire, excessif ; une mère effacée. S’éloigner des regards réducteurs et des mots encombrants. Ceux qui figent et qui blessent. « Fais attention ! », « Sois prudente », « Ça, c’est des trucs de filles ». Pour garder l’espoir d’une liberté. Un jours. Ailleurs. Entourée d’animaux. Loin du collège et ses trop épaisses cloisons.

Vient cet accident de bus scolaire, à 12 ans. Comme une alerte précoce. Celle d’un coche à ne pas rater. Surtout : descendre au prochain arrêt. Avant qu’il ne soit trop tard. Avant d’être embarquée sur une route toute tracée. Très tôt, Léontine apprend qu’il ne faut pas perdre de temps.

Dès 19 ans, c’est décidé, elle taille la route. En quête de son graal : le fameux prince charmant. L’aventurière solitaire est, en même temps, grande romantique. Rêvant par anticipation d’une histoire digne de Meghan Markle et du Prince Harry. Aspirant à construire un couple solide et soudé. Uni dans tous les combats. Elle teste, expérimente. Tâtonne. Espère. Beaucoup d’essais. Quelques erreurs. Des espérances. Et les premières désillusions. C’est l’époque du rodage. Tout n’est pas encore à sa place. Mais par contre, elle le sait. L’idée, c’est de vivre léger !

Deuxième chapitre : la révélation

Le bal du village, une rencontre « super sympa ». Le prince tant attendu ? Pas sûre. Mais quelque chose se passe. L’accident de kite surf du jeune homme balaye ses doutes et ses incertitudes. Comme un nouveau rappel de l’urgence de vivre. C’est bon ! Elle se lance. Prête pour le grand saut… la chute libre. Elle qui pensait ne jamais vouloir d’enfant. La voilà maman. A 300%. Deux garçons. C’est la révélation. D’abord Lionel. Puis Jérémy…. parce que le Y compte plus de points au Scrabble !

Magie de la maternité ? Elle se reconnecte à son intuition et ses envies. Pas question de rester cheffe de rayon en grande distribution ! Puisqu’elle aime ranger, c’est le moment de faire le tri pour ne garder que l’essentiel. Qui a dit que la vie, c’est bosser comme une dératée pour payer son crédit ? Stop, ça suffit.

Léontine découvre le développement personnel, les cours à l’université populaire : sophrologie, magnétisme, bouddhisme… De conférences en échanges riches, elle trouve des réponses sur la vie au moment où la sienne commence à se déliter. Un prince qui se transforme en grenouille, un père qui « se transforme en légume » suite à un AVC. Les vacances en van à 4 ne suffisent plus à éponger sa soif de liberté et ses envies d’ailleurs.

Pourquoi faut-il encore que tout recommence à vaciller ? C’est le moment de recadrer, réajuster. La découverte de la sororité lui permet de se raccrocher. Finalement, les filles seraient-elles moins ennuyantes et compliquées qu’elle ne le pensait ? N’y aurait-il pas, à travers ces épreuves, l’éclosion d’une certaine solidarité ? Ça y est, elle commence à y songer, pour dans plusieurs années : une coloc’ de retraitées avec ses copines d’apprentissage. Mais sans être bloquée. A la Indian Palace, vous connaissez ? Serait-ce donc ça, la liberté ?

Troisième chapitre : l’accomplissement

2020. Après un confinement, c’est le moment de reprendre les rennes de sa vie. Léontine a « les couilles » de se séparer ET de monter sa boîte ! Elle se rappelle ce que la vie lui a jusqu’alors enseigné : pour être heureux, vivons léger. D’ailleurs, ce sera le slogan de son entreprise : Vivez Léger. Pour arrêter de s’emmerder avec des choses qui ne servent à rien. De trimballer de vieilles casseroles. Aller à l’essentiel. Se désencombrer. Et retrouver la joie, l’enthousiasme, qui se sont petit à petit planqués sous l’étagère. Cachés derrière un monceau d’autres choses, devenues, sans même y prendre garde, prioritaires.

Une troisième fois, la vie se charge de rappeler à Léontine qu’elle n’a pas le temps de tergiverser. De dévier. Son père entre en EHPAD. Début d’un accompagnement rapproché . Lui donner à manger. Epousseter ce lien longtemps mis de côté. 9 mois. 9 mois pour apprendre à connaître son père. Savoir qui il était. Ensemble, faire la paix. Renaître à ses côtés. 9 mois pour retisser, sans plus rien entacher / entasser. 9 mois pour clôturer les pages de ce volet. Et pour laisser germer les graines de l’après. L’après décès.

Conseil de famille : ça y est, c’est décidé. Il est temps de s’envoler. Léontine prend la route. La poudre d’escampette. « Le coeur éparpillé dans la tête » (Fernando Pessoa). Seule au volant, sa voiture est prête. C’est le moment où jamais. Retrouver l’élan. Ne pas savoir où elle va dormir, ce qu’elle va découvrir, qui elle va rencontrer. Se laisser porter par les surprises. L’inattendu. Et briller par son absence. Quitter ses enfants avant qu’eux ne la laissent tomber. Une façon d’anticiper. De s’habituer. De continuer sa quête de liberté. Sans jamais se laisser entravée.

De chantiers participatifs en gardiennage / maraîchage en passant par le woofing, Léontine teste chaque journée sa capacité à résister. Pour savoir comment continuer, de façon épurée. Trouver le bon endroit, entourée des bonnes personnes : quand adviendra t-elle enfin, cette réalité ?

Mais au fond, elle le sait : se libérer n’est-ce avant tout (se) pardonner ? Et si l’accomplissement, c’était d’abord se départir des propres contraintes que l’on se met ?